Mon livre surprise

La communauté des citoyens

Dominique Schnapper

La communauté des citoyens
230 pages
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Popularité du livre : faible
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L'auteur du compte-rendu : Thomas Roman, diplômé de Sciences-Po Paris, titulaire d'un DEA d'Histoire à l'IEP, y poursuit sa recherche en doctorat, sur les rapports entre jeunesse et nationalisme en France à la "Belle Epoque".

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Directrice d’études à l’EHESS et présidente de la Société française de sociologie, Dominique Schnapper propose, avec La Communauté des citoyens, le troisième volet d’une réflexion entamée avec La Relation à l’autre et La Démocratie providentielle. La sociologue s’inscrit, avec cet essai très stimulant, dans une lignée deux fois séculaire de penseurs du fait national. On pourrait croire l’entreprise un peu vaine et éculée. Il n’en est rien. Objet politique à teneur hautement idéologique, la nation méritait une vue en retrait par une universitaire.

Mais l’auteur le dit elle-même : «Une définition de la nation est déjà en tant que telle une théorie implicite de la nation.» (p.43) Elle n’échappe ainsi pas à une appropriation d’un concept qu’elle exprime dans un sens républicain, jacobin et principalement politique, donc partial. Son grand mérite est cependant non seulement de faire l’aveu de ce biais immanquable mais, surtout, de proposer un définition de la nation qui se situe au-dessus de l’opposition traditionnelle, et aujourd’hui encore active, entre une vision primordialiste (à l’allemande, fondée sur la culture, le sang, la terre) et une vision moderniste (contractuelle, volontariste, à la française).

Tel est en effet le grand acquis de cet essai : l’auteur, dans une première partie, s’efforce avec talent de donner une définition le plus objective possible de la nation, dans un sens éminemment politique (Weber n’est jamais très loin). La nation «intègre les populations en une communauté de citoyens, dont l’existence légitime l’action intérieure et extérieure de l’Etat.» (p.45) Ce en quoi elle se distingue des groupes ethniques, non politiquement organisés (mais tout aussi artificiellement construits) et des nationalismes (la «nation» catalane n’a pas voix au chapitre dans le concert des nations, par exemple). Ce en quoi elle se distingue aussi des Etats. Si un lien nécessaire, car politique, lie la nation à l’Etat, ils ne sont pas confondus. La nation, de l’ordre de la culture, s’exprime politiquement dans un Etat, producteur de normes intégratrices (suffrage universel, liturgie nationale, école, armée, législation, politique extérieure, l’histoire et quelques mythes). Ce en quoi, enfin, lieu d’un «plébiscite de tous les jours» (Renan), la nation, essentiellement démocratique, se distingue des expériences nationalistes totalitaires et dictatoriales empêchant toute intégration volontaire de ces normes par les citoyens. La nation est donc bien cette «communauté des citoyens».

L’effort théorique est servi par une érudition en la matière et la mobilisation de modèles nationaux variés (France, Royaume-Uni, Etats-Unis, Israël, et ces démocraties consociatives tels la Belgique, la Suisse ou les Pays-Bas). L’essai, à travers ces exemples, illustre remarquablement la fragilité intrinsèque de la nation. Cette faiblesse tient d’abord à cette tension essentielle entre l’universel et la particulier : transcendant les différences internes, parfois au prix d’une acculturation dommageable, la nation doit en revanche exprimer sa singularité sur une scène internationale au nom d’un universel fondé sur le libéralisme et l’individualisme. Cette fondation libérale et individualiste est l’autre handicap du fait national : car l’individualisme serait producteur actuellement d’une vision atomisant le social et le politique au nom d’un bien-être confinant à l’égoïsme. «Aujourd’hui, la logique productiviste-hédoniste, intimement liée à la fois à l’ambition démocratique et à l’efficacité de la production, tend à primer sur les valeurs proprement politiques» (p.26), écrit l’auteur.

C’est sans doute ici qu’une déférence à l’égard du modèle national français dessert le plus la réflexion de Dominique Schnapper. Attachée au modèle républicain laïque typiquement français, elle semble rejeter trop rapidement l’expérience communautaire pourtant productrice de lien social (mais dont la dérive communautariste peut en effet constituer une menace politique). Au contraire, consciente de la nécessité d’une tradition qui enracine et incarne l’attachement national, elle critique les projets considérés comme trop abstraits de «patriotisme constitutionnel» (Habermas) ou de citoyenneté européenne. Cet euroscepticisme, cadrant avec l’ascendance "jacobine" de l’auteur, lui fait peut-être rater le coche du projet politique européen, promesse d’une communauté des citoyens à plus grande échelle à même de revivifier une dérive du civisme qu’elle déplore amèrement, et sans doute exagérément.

Cet essai, révélateur d’une quête toute sociologique du lien social, est un outil de grande qualité pour alimenter sa réflexion propre sur ces questions. Où l’on voit cependant que dépasser le débat incarné par Fichte et

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