Mon livre surprise
La carte du paradis
Extrait de l'introduction
«Je suis fils de la Terre et du Ciel étoile, mais ma race est céleste.»
Fragment d'un texte grec antique, donnant des instructions à l'âme qui vient de mourir sur la façon de naviguer dans l'après-vie.
Imaginez un jeune couple le jour de son mariage. La cérémonie est terminée et tous les invités se rassemblent autour des marches de l'église pour une photo. Mais le couple, à ce moment particulier, ne les remarque pas. Trop préoccupé, chacun regarde profondément dans les yeux de l'autre - «les fenêtres de l'âme», comme les appelait Shakespeare.
Profondément. Un drôle de mot pour décrire une action qui, nous le savons, ne peut pas être profonde. La vision suit en effet un processus strictement physique. Les photons de lumière frappent la paroi rétinienne au fond de l'oeil, à environ 2,5 centimètres derrière la pupille, et l'information qu'ils délivrent est alors transformée en impulsions électrochimiques qui voyagent le long du nerf optique jusqu'au centre de traitement de la vision à l'arrière du cerveau. C'est un procédé purement mécanique.
Cependant chacun sait ce que nous voulons dire quand nous disons que nous «regardons profondément dans les yeux de quelqu'un». Nous voyons l'âme de cette personne, cette partie de l'être humain que le philosophe grec Héraclite évoquait voici environ 2500 ans ainsi : «Tu ne trouverais pas les limites de l'âme, même en parcourant toutes les routes, tant la connaissance quelle possède est profonde.» Illusion ou non, c'est une expérience puissante que d'entrevoir cette profondeur.
Nous pouvons la percevoir dans ses deux manifestations les plus fortes : lorsque nous tombons amoureux et lorsque nous voyons quelqu'un mourir. La plupart des gens a connu la première expérience, alors qu'un petit nombre, dans notre société où la mort est taboue, ont vécu la seconde. Mais les professionnels de santé et les travailleurs en maisons de soins qui sont régulièrement confrontés à la mort sauront immédiatement de quoi je parle. Soudain, là où il y avait de la profondeur, il n'y a plus qu'une surface. Le regard de la vie - même si la personne était très âgée et que ce regard était vacillant - devient sans relief.
Nous le constatons également lorsqu'un animal meurt. La voie directe vers ce que l'universitaire des religions du XXe siècle Titus Burckhardt a appelé «le domaine interne de l'âme» s'éteint, et le corps s'apparente, par essence, à un appareil débranché. Imaginez donc les mariés se regardant dans les yeux et voyant cette profondeur sans limite. L'obturateur se déclenche. L'image est capturée. La prise parfaite d'un couple parfait de jeunes mariés.