Entre l'heure où s'est éveillée la conscience d'exister et cette période de la vie qu'on appelle l'âge d'homme, mille événements ont passé. Les êtres sont faits de cette somme d'incidents enfouis peu à peu dans la gangue de l'oubli. Les en dégager, c'est le principe même de l'autobiographie, mais le récit de Michel Leiris diffère des oeuvres traditionnelles par son intention qui est d'établir un bilan moral rigoureux, grâce à un inventaire sans complaisance. Il y a risque de déplaire ? Tant pis, ou plutôt tant mieux puisque ce risque donne sa valeur à l'acte d'écrire, de même que la corne acérée du taureau justifie les évolutions du matador et garantit l'authenticité de la corrida. Ne pas être seulement un « littérateur », un gâcheur de papier sans épaisseur humaine. reste une des préoccupations dominantes de ce poète angoissé par ses manques, fasciné par l'éros, captive par l'ambiguïté qu'incarnent la Judith et la Lucrèce du célèbre diptyque du peintre Cranach.