Paris, été 1995. Je suis dans le RER. Quelques jours plus tôt, des attentats ont semé la mort dans les wagons. Les gens s'observent. La peur est palpable. Est-ce pour conjurer la mienne ? Je me lance un défi stupide : inventer une histoire d'attentats qui ne feraient pas peur. Et même qui rendraient joyeux, qu'on revendiquerait pour le plaisir. Quelques semaines plus tard, je pars à la montagne avec des amis de longue date. On rigole bien. Et je me dis que je m'inspirerais bien de ça aussi pour faire un livre. Chanzeaux, printemps 1998. Trois autres amis, agriculteurs, m'expliquent qu'ils ont décidé de franchir le cap de la production bio. Ils apprennent au même moment qu'une autoroute va passer sur leurs terres. Faut-il voir dans cette étrange cohabitation une histoire symptomatique de notre époque ? En tout cas, ces moments sont dignes d'être relatés, me dis-je. La bande dessinée peut aussi servir à ça : raconter le réel. Carnet en main, je pars donc découvrir quelques aspects du monde paysan. Ça peut donner un livre. Botz-en-Mauges, hiver 2001. Les Mauges sont une région rurale, catholique et ouvrière de l'ouest français. Là-bas, les gens parmi lesquels j'ai grandi ont toujours milité. Rien, pour l'enfant que j'étais, n'était plus banal et moins exotique. La bande dessinée peut-elle permettre de découvrir ce qu'on connaît déjà, de se pencher sur son enfance, pour considérer ce sur quoi on a grandi ? Le projet serait de chercher ce que cette expérience locale comporte d'universel. Crayon en main, de ce passé proche qui semble déjà si loin, j'entreprends de faire un livre. Une fiction, un reportage, un documentaire autobiographique. Trois livres, trois rapports différents au réel. Trois façons de faire de la bande dessinée. Surtout, trois histoires. Je vous souhaite une bonne lecture.